Les particularités du deuil périnatal
La particularité du deuil périnatal est l’intervention de la mort à un instant qui était destiné à l’arrivée de la vie. Ce paradoxe signe la difficulté du deuil périnatal qui semble de prime abord inimaginable, insoutenable. Le deuil périnatal n’est pas un deuil du passé, mais un deuil de l’avenir, de la vie qui n’aura pas lieu, un deuil des projets. C’est un deuil à part entière, encore souvent peu reconnu.
La littérature relève que l’âge de l’enfant, qu’il ait deux jours, deux ans ou 22 ans importe peu sur l’intensité du chagrin éprouvé par les parents endeuillés. La perte d’un enfant se cristallise dans de nombreux enjeux. Quel que soit l’âge de l’enfant, les parents perdent leurs espoirs, leurs rêves et leurs attentes face à leur petit. Ils perdent une partie d’eux-mêmes, de l’un et de l’autre, de leur famille et de leur avenir.
Les particularités du deuil périnatal :
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L’imprévisibilité ou la brutalité du décès : Aucun parent n’est préparé à perdre un enfant avant ou après sa naissance. Ce type de décès peut donc comporter une dimension traumatique. L’état de sidération peut se prolonger et les réactions s’apparentées au stress post-traumatique. Ce caractère imprévisible renforce le sentiment de solitude et de culpabilité.
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La réalité du décès d’un bébé est difficile à assimiler. Les progrès techniques de la néonatalité peuvent nous donner l’illusion d’une toute puissance de la médecine. La désillusion peut être grande alors que nous avons entendu battre le cœur du foetus. L’existence juridique du tout petit né trop tôt évolue péniblement.
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Des questions peuvent rester sans réponse. La culpabilité peut prendre le relais afin de donner un sens à la perte.
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Le lien affectif avec le bébé : La formation du lien affectif avec l’enfant à naître s’amorce à différents moments pour chaque parent. Pour la plupart des parents, ce lien s’établit bien avant la naissance du bébé, particulièrement à partir des premiers mouvements fœtaux et parfois même dès la planification de la grossesse. L’utilisation de l’échographie permet aux parents d’entendre le cœur du bébé ou de le voir sur une image, ce qui les amène souvent à intégrer rapidement le bébé dans la famille. Le bébé vit dans un idéal, dans un désir, dans un imaginaire qui pouvait être en cours de réalisation.
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Les pertes multiples : Le décès d’un bébé occasionne des pertes simultanées qui peuvent toucher l’identité ou l’estime de soi du parent :
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La perte du statut lié à la maternité ou au rôle parental. Le lien avec le fœtus ou le nourrisson décédé inclut également un lien avec soi-même en tant que parent. Il faut revoir nos attentes relatives au fait d’être parent, ainsi qu’aux responsabilités et aux rôles d’un parent.
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L’échec d’une possible parentalité : dans certaines cultures, un couple dont la première grossesse se termine par une perte ne conclut pas le rite de passage à la condition parentale qui symbolise l’état d’adulte (1).
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La perte des rêves, des projets et d’un avenir (alors que dans le cas de la mort d’une personne ayant vécu, il s’agit de la perte du passé) …
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Un questionnement sur la féminité et la masculinité peut émerger. Alors que la mère est blessée dans son corps de femme et dans sa capacité à procréer, le père peut se sentir atteint dans sa virilité en tant que protecteur de la famille.
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L’expérience de la grossesse est une expérience sensorielle. Au moment de l’évocation de l’interruption, de la mort envisagée, la femme parle quasi systématiquement des mouvements actifs et perceptibles de son bébé. Chez les femmes qui ont porté leur bébé, celles-ci peuvent avoir l’impression de perdre une partie d’elle-même. Le sentiment de vide intérieur ainsi que les cicatrices et douleurs résiduelles dues à l’accouchement, la montée de lait peuvent être très difficiles à vivre. Quand le tout petit meurt in utéro ou peu après, Soubieux (2013) avance que la mère doit se défaire d’une partie d’elle-même non séparée ni corporellement ni psychiquement. Il s’agit d’un deuil dans sa chaire qui réveille ses sensations les plus archaïques de corps à corps avec sa propre mère. « Cela la renvoie à la question du maternel et de la féminité. » (2)
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La révision de son sentiment de compétence psychosexuelle et des difficultés dans les relations sexuelles : Pour certains, investir la sexualité représente un danger alors que pour d’autre cela représente une nécessité afin de se retrouver et de se renforcer à travers le couple.
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L’absence de souvenirs concrets : peu de souvenirs tangibles sont rattachés au bébé. Cette perte peut alors sembler irréelle et être donc plus difficile à surmonter pour les parents;
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Le manque de reconnaissance sociale : Bien que la grossesse ait été réelle pour les parents (par exemple, ceux-ci ont visualisé le bébé, lui ont donné un prénom), ces derniers reçoivent peu de reconnaissance sociale après le décès du bébé. La mort peut être en quelque sorte banalisée. Il n’y a pas nécessairement de rituels pour souligner l’existence d’un bébé mort trop tôt. Cette non reconnaissance sociale et psychologique peut faire de cette perte une non-réalité, un non-événement. Enfin, puisque les gens de l’entourage n’ont pas connu le bébé, ils ignorent souvent la profondeur du lien affectif du parent avec celui-ci, et beaucoup se sentent mal à l’aise de parler de cette perte avec les parents. L’entourage estime souvent trop rapidement que la perte est peu significative et comporte une solution : refaire un enfant. Des réactions maladroites et blessantes telles que « Il vaut mieux maintenant que plus grand…Vous allez en faire un autre…Vous êtes encore jeunes…Arrête d’y penser, cela ne le/la ramènera pas/ Il faut oublier et penser à l’avenir…C’est peut être mieux comme ça… » se multiplient.
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Un sentiment de difficulté d’expression à l’intérieur du couple mais aussi vis-à-vis de soi-même. Les parents n’ont pas ou peu de références et manque de repères. Ils se sentent seuls et souffre d’un sentiment de culpabilité.
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Layne, LL. (1990). Motherhood lost: Cultural dimensions of miscarriage and stillbirth in America. Women Health;16:69–98. [PubMed]
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Soubieux, M.-J. (2013). Le berceau vide. Toulouse : Erès, p.93.
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