Cancer du sein, intimité et sexualité – Eclairage à propos du « travail émotionnel »
Dans son article « Travail émotionnel des femmes confrontées aux impacts du cancer sur leur vie intime et sexuelle » (2023), Colette Casimir tente de mettre en lumière les processus de réajustements corporels, cognitifs et émotionnels que mettent en place les patientes. Deux femmes ont participé à cette recherche. Treize autres entretiens seront prochainement analysés.
Sur le plan théorique
Sur le plan théorique, certains concepts sont abordés :
L’image corporelle des femmes est impactée par l’expérience du cancer. Les perceptions, les émotions et les sensations vont s’en trouvées modifiées. L’image corporel traduit tant une perception physique que psychologique.
L’expérience vécue du cancer reste un événement brutal et sensible à aborder avec ses proches. Goffman (1963) parlera de « stigmate » pour qualifier le sentiment d’écart « ressenti par le patient entre l’éprouvé de leur maladie et les représentations sociales du cancer ».
Le « travail émotionnel » est un concept mis au point par la sociologue Arlie R. Hochschild (2003). Cette dernière définit une émotion comme étant « le fruit d’une coopération entre le corps et une image, une pensée ou un souvenir, une coopération dont l’individu est conscient ». Toute personne tenterait de réguler ses émotions de façon à les rendre appropriés à la situation. Partant du cadre conceptuel d’Hochschild, la chercheuse rappelle que « la sexualité nécessite le respect de conventions entre deux personnes d’ordre implicite ». Quand il faut réinventer l’intime, Colette Casimir se pose la question des processus de régulation qui seront mis en œuvre.
Je n’avais pas tout de suite intégré que le concept de « travail émotionnel » désignait « l’effort pour maintenir un écart entre les émotions ressenties et ce que la personne en laisse transparaître (Itié, 2021) ».
Retour sur ma pratique
Selon ma pratique il est question d’intégration progressive du vécu. Le rapport à soi, à l’autre, au couple se modifie suite aux traitements et/ou intervention chirurgicale. Le cancer fait irruption dans la vie d’une personne et le rapport au corps change irrémédiablement. Dans ma pratique, je veille à une réconciliation avec des facettes du corps. Il reste souvent le sentiment de trahison, la peur de la récidive et l’altération des sensations. Une part de la psyché est déployée afin de nourrir un imaginaire érotique et de manière sous-jacente la libido. Le plaisir est intégré de manière graduelle dans de nouvelles manières d’être à soi et à l’autre. Les trois dimensions que sont le corps, le cognitif et l’émotionnel sont à prendre en considération.
Grille d’analyse des entretiens
Les deux rencontres ont été retranscrites et analysées suivant la grille d’Hochschild (2003). Les verbes et voix passives ont été catégorisés. La sociologue recense « trois techniques de travail émotionnel » :
Travail émotionnel cognitif | Tentative de changer les images, les idées ou les pensées dans le but de changer les sentiments qui y sont attachés.
Exemple : essayer de recodifier une situation pour la comprendre différemment. |
Travail émotionnel corporel | Tentative de changer les symptômes somatiques ou d’autres symptômes physiques des émotions.
Exemple : essayer de respirer plus lentement, essayer de ne pas trembler. |
Travail émotionnel expressif | Tentative de changer d’expressivité pour changer de sentiment intérieur
Exemple : tenter de sourire ou de pleurer. Il s’agit de la manière dont un individu est conscient de ses émotions et de la façon dont il choisit de les exprimer ou de les cacher. |
Synthèse du travail émotionnel
De nombreuses stratégies de type corporel, cognitif ou expressif sont déployées pour tenter de se préserver, de préserver leurs relations intimes ou de préserver leurs partenaires.
Ces stratégies sont mises en place afin de tenter de :
- « mieux comprendre ce qui se passe dans leur corps et qui affecte leur intimité ;
- se protéger de leurs propres émotions en les transformant pour reprendre le contrôle dans les situations intimes ;
- se protéger des émotions et réactions du partenaire tout en répondant autant que possible aux attendus dans la relation affective ;
- accepter leur corps transformé par la maladie, ou faire semblant de l’accepter en fonction des personnes avec qui elles interagissent ;
- apprivoiser de nouvelles émotions inconnues jusqu’alors et apprendre à les gérer seule à seule avec soi, ou les partager ;
- modifier et adapter leurs pratiques sexuelles, transformer la relation sexuelle afin de préserver la force sentimentale et affective du couple ;
- être mieux préparées aux activités sexuelles à la fois dans ses composantes corporelles et émotionnelles et trouver des solutions quand toute sensation semble avoir disparue. » (Casimir C. 2023)
Mot de la fin
Les stratégies d’ajustement, de travail émotionnel sont complexes et propres à chaque personne. Les consultations en psycho-sexothérapies permettent aux patientes de prendre consciences des processus en jeux tout en veillant à intégrer de nouvelles expériences émotionnelles. Des tâches sont proposées en veillant à proposer des espaces sécures pour expérimenter une forme de lâcher prise. Il y a une invitation à se réapproprier sa sexualité et non la sexualité. Il y a lieu de renouer avec des sensations de plaisir sans obligation, ni contraintes. Les ingrédients à minima de la sexualité sont le plaisir et l’intimité. Les patientes avancent par tâtonnements progressifs. Les consultations restent un lieu d’élaboration et de pistes afin de se réapproprier son corps, ses sensations, un imaginaire érotique associé, une meilleure communication à son partenaire et finalement une amélioration de la satisfaction sexuelle.
Colette Casimir obtient du matériel de qualité afin de mieux comprendre les mécanismes en jeu dans le renoncement ou la réappropriation de la vie intime et sexuelle après un cancer. Vivement les prochains écrits.
Lien vers l’article de Colette Casimir :