Réflexion – Les critères diagnostics du DSM-V et de la CIM-11 induisent-ils une sous-estimation du diagnostic de dépression du post-partum ?
Il convient tout d’abord de décomposer le terme « dépression post partum » afin d’en comprendre la définition :
- La dépression est une pathologie psychologique très répandue dans le monde. Ce trouble mental se caractérise par « une tristesse persistante ou une perte durable de la capacité à éprouver de l’intérêt ou du plaisir pour les activités qui en procuraient auparavant » (OMS). Ce trouble psychique marque donc bien une rupture avec l’état de fonctionnement antérieur de la personne, associé à un trouble thymique caractérisé par une baisse de l’humeur. La dépression peut se déclarer à tout âge, quelque soit le sexe ou l’âge (aussi bien chez l’enfant que la personne âgée).
- « Post» signifie la postérité dans l’espace et dans le temps. Il s’agit ici de l’après accouchement.
- « Partum» signifie quant à lui la période s’étendant de l’accouchement au retour des règles.
La dépression du post-partum (ou dépression postnatale) appartient ainsi à la famille des dépressions périnatales et plus précisément aux troubles dépressifs qui se manifestent au décours d’une grossesse.
Deux nosographies nous permettent de définir la pathologie de la dépression post-partum. D’une part, le Manuel Diagnostique et Statistique des troubles Mentaux (DSM) remis à jour en 2013. D’autre part, la Classification Internationale des Maladies (CIM) remise à jour en 2022.
Ces deux nosographies recommandent l’utilisation de catégories diagnostiques génériques (non périnatales) de troubles de l’humeur pour les dépressions qui surviennent pendant la période postnatale, en reconnaissance de l’absence de signes clairs d’un syndrome clinique postnatal distinct. Toutefois, ces classifications permettent l’utilisation d’une catégorie diagnostique périnatale secondaire (dans la CIM-11) ou d’un spécificateur (dans le DSM-V) pour la dépression pendant la grossesse ou dans les quatre à six semaines qui suivent l’accouchement. De nombreuses études reconnaissent néanmoins une fenêtre d’apparition plus longue (jusqu’à un an après l’accouchement).
La fenêtre d’apparition est certainement à nuancer. La « dépression périnatale » apparaît à des périodes de pré-grossesse dans 27% des cas, durant la grossesse dans 33% des cas et en post-partum dans 40% des cas.[1]
Suivant le DSM-V, la dépression du post-partum sévère répond aux caractéristiques d’un épisode dépressif « avec début périnatal » et « d’intensité sévère ». Le DSM-V précise que le trouble survient au cours de la première année qui suit l’accouchement.
« La dépression du post-partum est diagnostiquée sur les mêmes critères que le trouble dépressif majeur. »
Les critères diagnostiques d’un trouble dépressif majeur suivant le DSM-V sont les suivant :
- Au moins 5 des symptômes suivants doivent être présents pendant une même période d’une durée de 2 semaines et avoir représenté un changement par rapport au fonctionnement antérieur ; au moins un des symptômes est soit (1) une humeur dépressive, soit (2) une perte d’intérêt ou de plaisir.
- Humeur dépressive présente pratiquement toute la journée, presque tous les jours, signalée par le sujet (ex : se sent vide ou triste ou désespéré) ou observée par les autres (ex : pleure ou est au bord des larmes).
- Diminution marquée du plaisir pour toutes ou presque toutes les activités pratiquement toute la journée, presque tous les jours (signalée par le sujet ou observée par les autres).
- Perte ou gain de poids significatif en absence de régime (ex : modification du poids corporel en 1 mois excédant 5 %) ou diminution ou augmentation de l’appétit presque tous les jours.
- Insomnie ou hypersomnie presque tous les jours.
- Agitation ou ralentissement psychomoteur presque tous les jours (constatés par les autres, non limités à un sentiment subjectif de fébrilité ou de ralentissement intérieur).
- Fatigue ou perte d’énergie presque tous les jours.
- Sentiment de dévalorisation ou de culpabilité́excessive ou inappropriée (qui peut être délirante) presque tous les jours (pas seulement se faire grief ou se sentir coupable d’être malade).
- Diminution de l’aptitude à penser ou à se concentrer ou indécision presque tous les jours (signalée par le sujet ou observée par les autres).
- Pensées de mort récurrentes (pas seulement une peur de mourir), idées suicidaires récurrentes sans plan précis ou tentative de suicide ou plan précis pour se suicider.
- Les symptômes induisent une souffrance cliniquement significative ou une altération du fonctionnement social, professionnel, ou dans d’autres domaines importants.
- Les symptômes ne sont pas attribuables à l’effet physiologique d’une substance ou d’une autre affection médicale.
- L’occurrence de l’épisode dépressif caractérisé (EDC) n’est pas mieux expliquée par un trouble schizo-affectif, une schizophrénie, un trouble schizophréniforme, un trouble délirant, ou un autre trouble psychotique.
- Il n’y a jamais eu d’épisode maniaque ou hypomaniaque.
« Beaucoup de femmes ont une dépression transitoire du post-partum (« baby blues ou postpartum blues ») et peut comprendre des symptômes dépressifs, mais ne répond pas à tous les critères de la dépression du post-partum. »
« Typiquement, les symptômes se développent insidieusement en 3 mois, mais leur apparition peut être plus soudaine. La dépression du post-partum perturbe la capacité des femmes à s’occuper d’elles-mêmes et de leur nourrisson.
Les femmes peuvent ne pas se lier avec leur nourrisson, ce qui entraîne des problèmes émotionnels, sociaux et cognitifs plus tard chez l’enfant.
Les partenaires peuvent également être à risque accru de dépression; et la dépression chez l’un des parents peut entraîner un stress relationnel.
Sans traitement, la dépression du post-partum peut disparaître spontanément ou devenir chronique. Le risque de récidive est d’environ 1 sur 3 à 4.
D’autres troubles psychiatriques potentiels au cours du post-partum comprennent l’anxiété et, rarement, la psychose du post-partum.
Les troubles psychiatriques du post-partum non traités augmentent le risque de suicide et d’infanticide, ce sont les complications les plus graves. »
Suivant la CIM-10, la dépression du post-partum est reprise dans la catégorie « troubles mentaux et troubles du comportement associés à la puerpéralité non classé ailleurs ».
Les symptômes doivent :
- Être présents durant une période de minimum deux semaines, et chacun d’entre eux a un degré de sévérité certain, presque tous les jours
- Avoir représenté un changement par rapport au fonctionnement antérieur (professionnel, social, familial)
- Induire une détresse significative
Parmi eux il faut au moins deux des trois symptômes principaux :
- Humeur dépressive
- Perte d’intérêt, abattement
- Perte d’énergie, augmentation de la fatigabilité
Et au moins deux des autres symptômes :
- Concentration et attention réduite
- Diminution de la confiance en soi et de l’estime de soi
- Sentiment de culpabilité et d’inutilité
- Perspectives négatives et pessimistes pour le futur
- Idées et comportements suicidaires
- Troubles du sommeil
- Perte d’appétit
La dépression du post-partum est considérée comme « sévère » si 3 symptômes majeurs et 4-5 symptômes mineurs sont présents et associés à des idées suicidaires. Ces troubles doivent apparaître dans les six semaines qui suivent l’accouchement.
Nous notons que ces deux nosographies classent la DPP suivant la présence, le nombre, la sévérité et la durée d’un ensemble de symptômes.
Ces classifications internationales ont des limites temporelles et sémiologiques qui ne reflètent pas la réalité du terrain. En effet, de nombreuses études attestent le fait qu’une DPP peut apparaître dans l’année qui suit l’accouchement.
Par ailleurs, la spécificité clinique du post-partum n’est pas prise en compte. En effet, la dépression du post-partum a une expression clinique souvent discrète. Ainsi, elle ne rempli pas toujours les critères diagnostics d’un épisode dépressif caractérisé par le DSM-V. Nous pourrions ajouter un sentiment de culpabilité relatif à l’absence d’un ressenti de bonheur attendu suite à la venue d’un enfant, une phobie d’impulsion, un sentiment d’incapacité et des inquiétudes inadaptées à propos du soin à dispenser au nourrisson, des plaintes somatiques, une tendance à l’isolement voire encore la crainte de sortir du foyer.
Relevons que certains symptômes, repris dans les classifications, tels qu’une asthénie ou des troubles du sommeil sont souvent la conséquence du changement de vie induit par l’arrivée d’un petit.
Ces dernières observations telles que le laps de temps pendant lequel peut survenir une dépression du post-partum, l’expression clinique discrète et d’autres signes peu pris en considération génèrent une sous-évaluation du diagnostic.
[1] La dépression post-partum : nouvelles recommandations de dépistage et traitements | Troubles dépressifs | JAMA | Réseau JAMA